Laissez-moi vous
conter comment une des trois croix de Nicomède assura la renommée et la richesse de Rue du XIIème
au XVIIIème siècle.
Ce port, déjà au
temps des gallo-romains, capitale du Marquenterre est évangélisé par Wulphy,
ermite du VIème siècle avec la bénédiction et le parrainage de Riquier (son
abbaye est la deuxième splendeur du gothique flamboyant de la Somme, n’est-ce-pas
Emmanuelle ?). L’église du saint Esprit qu’il fonde devient un important et
jalousé lieu de pèlerinage pour cette
région berceau des royaumes francs et prend le nom de son fondateur.
Au neuvième
siècle ses reliques sont translatées à Montreuil sur mer pour les abriter des
pillards normands ; les Ruens prient, implorent mais elles ne leur sont
pas rendues (ils en récupèrent un bout en 1535). Sont-ils entendus ? Une
barque s’échoue en aout 1101 porteuse du crucifix miraculeux. D’où vient-elle ?
De terre sainte, nous sommes au temps des croisades et tout ce qui vient de l’orient
religieux est de la plus grande valeur. Nicomède le disciple de Jésus,
représenté avec son beau chapeau dans les mises au tombeau renaissances,
sculpta trois croix aidé pendant son sommeil par un ange, l’une est déjà
arrivée à Lucques en 782 et notre Charlemagne participe à sa grande renommée.
Les autres sont redécouvertes en terre sainte et malgré le refus de leur gardien
les croisées s’en emparent et curieusement les chargent chacune sur une barque sans
autre passager, laissant la main de Dieu les conduire. Une arrive à Dives sur
mer en 1060, elle sera détruite par les calvinistes, l’autre remonte la Somme,
puis la Maye et s’échoue à Rue en 1101 ! Elle est immédiatement placée
dans l’église et la joie des paroissiens est telle que leurs cris firent tomber
dans la mer toutes les mouettes du rivage. Placée dans le chœur, puis en raison
du nombre des pèlerins dans le bas-coté nord; une chapelle est construite ensuite au
XIVème XVème siècle, sous le vocable du saint Esprit, elle est un des trois chefs-d’œuvre
du gothique flamboyant flamand de la Somme. Conjointe à l’église jusqu’au
XVIIIème (son mur nord est commun et percé de communications avec la nef), la reconstruction
de l’église ruinée par la révolution en fait un édifice séparé de la chapelle.
La vénération de
ce crucifix attire dès le XIIIème siècle des pèlerins d’Angleterre du Portugal et
même de Palestine. Les souverains ne sont pas en reste : Jeanne de
Castille, Edouard premier d’Angleterre, Isabeau du Portugal et son mari Philippe le
bon, Louis XI, Charles V, François premier, les Louis XIII et XIV… les dons des
pauvres comme des puissants contribuent à l’édification et à la dotation de
cette chapelle. Les Abbevillois jaloux cherchent à voler la célèbre relique
vers l’an 1200 ; le char ne parvient pas à sortir de la ville et les bœufs
font demi-tour !
Les
révolutionnaires brulent le crucifix, seul un avant-bras est sauvé, la relique
serait encore visible dans la chapelle.
Cela valait le
détour…
Source : La chapelle du Saint-Esprit de Rue, thèse de Labrecque Claire, université de Laval, lire en ligne : https://corpus.ulaval.ca/jspui/handle/20.500.11794/20281
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